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Article journal Le Temps du 5 octobre 2019

LA FORCE SEREINE DE BRIGITTE VIOLIER

PAR ÉDOUARD AMOIEL

 

«Je suis l’héritière du nom Violier. A moi de le faire à nouveau rayonner»

Celle qui a rendu les clés de l’Hôtel de Ville de Crissier l’an dernier dit l’intensité quasi obsessionnelle du métier.

 

Elle vient de reprendre le poste de directrice artistique du guide «Tables ouvertes». Confidences d’une grande dame qui, malgré les épreuves de la vie, continue de tracer son chemin

◗ Quand on retrouve Brigitte Violier le temps d’un instant, c’est comme si rien n’avait changé. La douceur du regard, d’un geste et de la voix, aussi rassurante que bienveillante, reste intacte comme au premier jour pour celle qui est désormais engagée en tant que directrice artistique au sein du guide Tables ouvertes. Nouveau départ, nouveau challenge.

A l’heure des palmarès, des récompenses et des classements, la nouvelle émissaire prône une approche différente, celle de faire rayonner une sélection de 150 établissements dans toute la Romandie sans restriction en matière de style gastronomique. «Je suis l’héritière du nom Violier; à moi de le faire rayonner de nouveau dans un environnement d’excellence», explique celle qui fut pendant neuf ans l’ambassadrice du restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier où elle passa de l’ombre à la lumière à son coeur défendant et pour toutes les mauvaises raisons.

 

RÊVEUSE ET SPORTIVE

Dès l’âge de 7 ans, Brigitte Violier va partager son temps entre la mer et la montagne. Saisonniers par excellence, ses parents sont propriétaires d’une crêperie dans sa ville natale de Narbonne et d’un libre-service d’alimentation à Courchevel. «Chaque départ était un voyage en soi», se souvient-elle. Cinq ans plus tard, elle entre en internat dans un établissement religieux. Les débuts sont difficiles mais le temps fait bien les choses et son caractère se forge. Bonne élève? Bavarde selon les professeurs… mais surtout très rêveuse. «C’est du reste toujours le cas aujourd’hui. Cela fait partie de qui je suis.» Et sportive aussi. Skieuse hors pair, elle estime ne pas maîtriser suffisamment la discipline pour pouvoir la pratiquer à haut niveau. «Je n’ai jamais eu le culte de la victoire pour un sport individuel.

Le fait de gagner m’enthousiasmait mais je ne cherchais pas à entrer en compétition avec des amis et n’en voyais pas la nécessité. A ce niveau, je ne suis pas une compétitrice née.»

 

LA DAME DE CRISSIER

Baccalauréat en poche, Brigitte Violier part à Lille étudier l’esthétique, un secteur en pleine expansion. La jeune étudiante se spécialise dans une méthode de soins traditionnelle chinoise naturelle basée sur les cinq éléments et la phyto-aromathérapie. Elle retourne à Courchevel aux Jeux olympiques d’Albertville en 1992 où elle rencontre un certain Benoît Violier sept ans plus tard. Le futur grand chef se trouve entre deux chapitres de sa vie professionnelle; il est sur le point d’être engagé par Frédy Girardet au restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier après une période passée chez Joël Robuchon.

«Je suis tombée amoureuse en altitude», raconte Brigitte Violier.

A Crissier, Benoît Violier arrive dans une maison en pleine passation de pouvoirs: la gloire de Girardet prend fin, l’ère de Rochat voit le jour. L’avenir de Benoît est toujours incertain et Brigitte ne le suit pas immédiatement. Mais le jeune cuisinier sort

rapidement du lot et Crissier devient une évidence. «Il avait une conviction et une détermination en lui qui étaient déroutantes. Sa manière d’être m’a rassurée et m’a mise en confiance. Même si j’allais vers l’inconnu, j’étais prête à le suivre.» Pendant une décennie, Brigitte garde ses distances avec le restaurant triplement étoilé par le Guide Michelin et continue à travailler pour une marque de cosmétiques familiale.

 

ENGRENAGE FATAL

En 2012, Benoît Violier reprend les rênes du restaurant. Afin de maintenir l’harmonie dans son couple, sa femme décide de travailler à ses côtés. Les époux construisent le projet B.Violier dans lequel ils mettent en commun leurs compétences respectives dans l’accueil et le bien-être de la clientèle dans un nouveau décor de salles. Dorénavant, la cuisine suivra cinq saisons distinctes en adaptant cinq cartes de mets. Le rythme soutenu du métier s’impose au fil des années et envahit leur vie. «Les gens n’imaginent pas le travail que peut représenter le déroulement d’un service. La moindre inattention peut déclencher un tsunami».

Perfectionniste, le couple est pris dans un engrenage qu’il n’anticipe pas. «Comme une gangrène, cela s’immisce dans votre quotidien sans que vous vous en rendiez compte. Cela dépasse la passion… et devient presque une obsession. Ce métier vous prend tout si vous n’êtes pas vigilant. Nous n’avions plus assez de temps pour nous!» Un jour sans crier gare, le chef n’attend pas et décide de partir bien trop tôt. C’était le 31 janvier 2016.

Deux ans plus tard, Brigitte Violier décide de quitter la maison qui a fait, de près ou de loin, partie de sa vie pendant vingt ans. Une période de reconstruction s’impose. Une certaine forme d’acceptation de soi et du nouvel environnement qui l’entoure se met en place. «Dans mon parcours, rien n’est prévu mais tout est logique, confie-t-elle sereinement. La vie m’a tellement pris, à tout point de vue, qu’il me faut encore du temps pour la rééquilibrer. Je ne lui en veux plus mais j’ai besoin de comprendre où elle veut m’emmener pour me reconstruire. Je suis sur la bonne voie. Aujourd’hui je suis moi!» ■

«Tables ouvertes», guide et remises dans 150 restaurants de Romandie. www.tables ouvertes.ch/accueil.html

(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS)

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